Le patrimoine de proximité, rural, vernaculaire revêt des réalités bien hétérogènes puisque architecture et paysage, savoir-faire et techniques, traditions orales et festives sont des composantes essentielles de ce qu’on appelle souvent le « petit » patrimoine.
Parfois délaissé, souvent mal considéré face au patrimoine monumental, il devient pour certaines communes un moteur de projet permettant de lutter contre la dégradation du cadre de vie, l’exode rural et la crise industrielle.
Dossier réalisé par Orianne Masse
Ville de Sézanne (Marne), Petite Cité de Caractère de France. Photo : Virginie Dhellemme
Comment définir le patrimoine de proximité ?
Ce patrimoine est à la fois urbain, car il appartient à de petites communes, de moins de 10 000 habitants, et rural, en raison de son implantation. Le Conseil de l’Europe donne des éléments de réponse en s’appuyant sur la notion de ruralité : « Constitué tout à la fois d’éléments matériels et immatériels relevant de domaines aussi divers que l’histoire, les arts et la culture, le monde rural est d’abord patrimoine naturel constitué de sa faune et de sa flore, et des paysages qui l’enveloppent.
À l’origine de notre identité commune, le patrimoine rural est d’une infinie richesse architecturale, culturelle, linguistique et folklorique. Il convient ainsi de conserver et de valoriser les produits du terroir, les techniques, les savoir-faire et les outils traditionnels, tout comme les dialectes, les chants, les danses, les musiques, et les contes. » Cette longue énumération illustre la diversité des richesses dont la conservation peut s’avérer complexe…
Un patrimoine en danger ?
À la fin des années 1950, Georges-Henri Rivière, le fondateur du musée national des Arts et Traditions populaires, constate symboliquement que les bergeries, les granges, les étables se sont vidées. Le fort exode rural entraîne la disparition progressive des fêtes populaires, des savoir-faire locaux et de la perte d’usage d’un grand nombre de bâtiments, qui progressivement menacent ruine.
Depuis les tournées de Prosper Mérimée au milieu du 19e siècle, la notion de patrimoine a été confisquée par une politique patrimoniale monumentale. Or cet héritage est essentiel pour construire l’identité des communes et participer à la préservation du cadre de vie.
Commune de Montsalvy (Cantal), Petite Cité de Caractère de France. Photo : Pierre Soissons
Ville de Confolens (Charente), Petite Cité de Caractère de France. Photo : Pascal Baudry
Commune de Parné-sur-Roc, Petite Cité de Caractère de France. Photo : Ville de Parné-sur-Roc
Prise de conscience
Les mentalités commencent à évoluer dans les années 1960. À cette époque, le patrimoine est fermé, réservé aux Monuments historiques, et on oppose souvent patrimoine et développement… Mais les premières initiatives apparaissent. L’association des Maisons paysannes de France (MPF) se constitue en 1965. « Depuis 54 ans, nous œuvrons pour une action de terrain : une pédagogie de l’exemple, par le chantier et les ateliers », déclare Gilles Alglave, président de l’association. Près de 85 délégations départementales assurent actuellement sensibilisation et accompagnement technique et réglementaire auprès des particuliers. En 1975, l’association des Petites Cités de Caractère de France est créée. Elle rassemble aujourd’hui 170 municipalités organisées pour la sauvegarde de leur patrimoine et le développement de leur commune. Une charte de qualité, réexaminée et actualisée régulièrement, permet d’accompagner les élus dans la définition de leur projet et de les encourager à engager des actions. « Le réseau assure une mise en commun des bonnes pratiques, c’est un vivier d’expérimentations et d’innovations », explique Laurent Mazurier, directeur de l’association Petites Cités de Caractère de France.
Réalités du terrain
Les petites et moyennes communes connaissent généralement une dégradation démographique et économique accompagnée d’une dévitalisation du centre-ville. Les besoins de mobilités ont des conséquences parfois néfastes pour ces petites collectivités dont la volonté est de rester des centres urbains, offrant services, commerces, activités et habitats de qualité. « Les situations sont très différentes d’une région à une autre. Par exemple, le Perche connaît une forme de pression foncière rurale en raison du développement des résidences secondaires alors qu’en Haute-Marne, la crise post-industrielle crée des zones sinistrées », commente Laurent Mazurier. Certaines d’entre elles ont compris que le patrimoine pouvait constituer un puissant levier pour lutter contre ces tendances.
Faisceau d’acteurs
Élus, associations, région, Unité départementale de l’architecture et du patrimoine (Udap), Conseil de l’architecture, de l’urbanisme et de l’environnement (CAUE) et bien sûr habitants sont les acteurs principaux de cette valorisation : de nombreuses entités dont la collaboration est essentielle pour mener concrètement les projets. « Il faut que l’usager, l’habitant, soit au cœur de la démarche, qu’il partage et comprenne le projet, c’est ainsi que celui-ci est le mieux accepté », déclare Laurent Mazurier. L’architecte des Bâtiments de France constitue un rouage décisif dans la mise en œuvre des opérations. « Notre rôle sur le terrain est primordial, car nous assurons l’ingénierie technique et réglementaire auprès des différents acteurs », déclare Fabien Sénéchal, ABF du Finistère et président de l’ANABF.
Des résultats à long terme
Les résultats des politiques locales sont visibles à moyen et long termes, il faut souvent un ou deux mandats aux élus pour constater des progrès significatifs : retour des commerces et des habitants, restauration du centre- ville (avec notamment des opérations de ravalement), activités culturelles… Les réutilisations du bâti (comme l’implantation de la mairie dans le château ou la grange devenue centre culturel) marquent le dynamisme des projets et la volonté de ne pas sanctuariser les centres-villes : les touristes étrangers s’émeuvent souvent de cette capacité française à réadapter l’ancien, c’est bien la preuve que notre patrimoine est vivant. Enfin, il est intéressant de remarquer que ce patrimoine de proximité sert d’ancrage autant pour les habitants « historiques » que pour ces nouveaux arrivants qui développent une appartenance au lieu par la réinvention d’un héritage commun. Cet héritage autant matériel qu’immatériel est bien un vecteur d’identité, mais une identité mouvante, évolutive, plurielle : un patrimoine de demain qu’il faudra aussi transmettre.