« Cosquer Méditerranée », tel est le nom du nouveau site culturel marseillais qui vient d’ouvrir dans la Villa Cosquer Méditerranée, à côté du MUCEM. Il abrite la restitution de la Grotte Cosquer, découverte en 1985 dans les calanques de Marseille, par le plongeur Henri Cosquer. L’étude de cet ensemble exceptionnel, riche de plus de 500 entités d’art pariétal, est particulièrement difficile : le site est quasi inaccessible car l’accès est situé à 37 mètres sous la mer et réservé à des plongeurs expérimentés. En raison de la montée des eaux, l’engloutissement de la Grotte est inéluctable. Seul un sauvetage virtuel de ce lieu inestimable est possible. Il est en cours. À partir de la réalisation d’un modèle 3D, la restitution de la Grotte permet de donner accès à ce patrimoine.
A l’issue d’un appel d’offre lancé en mai 2018, le groupe Kléber Rossillon a été sélectionné en septembre 2019 pour la qualité de son projet culturel et scientifique et s’est vu attribuer la réalisation du Centre d’interprétation dans le cadre d’une DSP, Délégation de Service Public. La Région, propriétaire du bâtiment et initiatrice du projet, contribue à hauteur de 9 M d’euros au financement de la transformation du site et se porte garante de la production culturelle et scientifique de l’ensemble du projet. Les équipes en charge du projet ont dû résoudre des défis majeurs : comment restituer la Grotte Cosquer 30 ans après sa découverte, sans y avoir un accès direct ? Comment faire tenir les 2300 m2 de la Grotte qui a la forme d’un huit, au niveau -2 de la Villa Cosquer Méditerranée, dans un carré de 1750 m2 ? Comment imaginer un parcours de visite tout en restituant la topographie complexe du site, ses passages étroits, ses altimétries différentes, la présence de l’eau et l’abondance d’œuvres dessinées et gravées, disséminées sur l’ensemble des voûtes et parois ? Autrement dit comment concevoir un site qualitatif sur le plan scientifique, séduisant sur le plan culturel et répondant aux exigences d’un établissement recevant du public qui tienne compte de toutes les contraintes du bâtiment (circulation, issues de secours, structures porteuses, réseaux, préservation de l’amphithéâtre existant, etc.)
Modélisation 3D, découpage de la Grotte en six écailles, reconstitution des parois en béton, réalisation des panneaux ornés en résine, restitution de l’aspect de la roche et reproduction des dessins et gravures : chaque étape requiert des savoir-faire spécifiques. Pour l’essentiel, la plupart des entreprises en charge du projet ont déjà travaillé sur des projets similaires, notamment la réplique de la Grotte Chauvet, expérience propice à l’invention de méthodes innovantes, aujourd’hui réutilisées à Cosquer. Le travail de restitution repose intégralement sur les données recueillies lors des campagnes d’étude. En effet, la difficulté d’accès au site rend impossible la vérification de l’exactitude des réalisations en temps réel. Par ailleurs, l’étude de la Grotte Cosquer est toujours en cours et de nouvelles données scientifiques contribueront à préciser les réalisations en cours.
Un modèle 3D servant de référence
La société PERSPECTIVE(S), située à Aix-en-Provence, a développé des logiciels permettant de traiter les données numériques collectées par la société Fugro commanditée par la DRAC- Provence-Alpes-Côte d’Azur. Les photogrammétries de 344 lasers scans et les images 360 HD ont permis de reconstituer un modèle de l’ensemble de la Grotte en juxtaposant les différentes limites de scan. En 8 mois de travail, plus de 50 versions ont été réalisées par PERSPECTIVES, pour présenter une réplique de la Grotte adaptée au support contraint de la Villa Cosquer Méditerranée, dans laquelle doit s’intégrer un parcours de visite. Au final, le modèle unifié de la Grotte, soumis à une validation à la fois scientifique et scénographique, permet une visite de celle-ci en 3D et en réalité virtuelle. La réplique 3D réalisée, les données ont été transmises à tous les protagonistes du projet et notamment aux artistes en charge de la réalisation de la réplique physique de la Grotte à Toulouse, Paris et Montignac et où se trouvent les ateliers de Gilles Tosello, Stéphane Gérard et Alain Dalis.
Une contraction nécessaire
Pour réduire l’emprise au sol de la restitution, et la faire « rentrer » dans la superficie disponible du niveau -2 de la Villa Cosquer Méditerranée, une contraction de la Grotte a été nécessaire. Le modèle 3D de Cosquer a été découpé en 6 grandes écailles : L’arrivée et la salle de la plage / La salle des chevaux / La salle nord / Le grand puits / La faille des bisons / La galerie des mains rouges et du félin. Une segmentation délicate car l’ensemble de la Grotte est couvert d’œuvres pariétales.
Un travail de « couture » Dans la Grotte, les écailles ne se trouvent pas au même niveau, il a donc fallu trouver un calage altimétrique moyen entre le sol et le plafond puis procéder au raccordement géologique entre les différents segments. Des géologues spécialisés en karstologie garantissent la qualité de cette opération de « couture », s’appuyant sur un catalogue de références pour être fidèle à la géomorphologie de la Grotte et restituer la texture des parois ainsi que les concrétions.
La reproduction des parois et des spéléothèmes : forme et couleur
L’Atelier Artistique du Béton, sis à Mormant, en Seine-et-Marne, réalise la matrice principale : sur des cages d’acier, sur lesquelles est agrafé un grillage, plusieurs couches de béton sont projetées, puis sculptées et patinées pour recréer la topographie de la Grotte dans sa complexité. Parallèlement à ce modelage, l’atelier de Stéphane Gérard, plasticien spécialiste de la reproduction des spéléothèmes, restitue les formations géologiques, les concrétions karstiques : stalagmites, stalactites, fistuleuses (fines stalactites où circule l’eau). Dans l’atelier parisien, les équipes concoctent des recettes pour restituer le mat ou la transparence, la brillance, les drapés de calcique.
La reproduction des panneaux ornés
Depuis 25 ans, l’atelier Arc&Os à Montignac, non loin de Lascaux, est spécialisé dans les fac- similés de Grottes ornées. D’après la modélisation en 3D de la Grotte, une fraiseuse numérique sculpte des blocs en polystyrène, des moules en négatif à partir desquels sont fabriqués les panneaux en résine, sur lesquels seront projetées les photographies prises dans de la Grotte. Les panneaux sont confiés aux mains expertes des artistes plasticiens pour restituer la texture, la granulométrie et les teintes de la roche et au final graver ou dessiner à la manière des homo sapiens.
Dans le Lot et Garonne, chez Déco Diffusion, Gilles Toselllo préhistorien, artiste plasticien et Bernard Toffoletti, directeur technique, font de nouveau équipe après avoir travaillé pour Chauvet. Ils sont en charge de 8 panneaux ornés (sur les coques provenant de chez Arc&Os). Comme le précise Gilles Tosello : « Si le travail de restitution repose sur la technique 3D, au final, tout ce que le spectateur voit est recréé par la main de l’homme. Et tout ce que l’on voit doit être reproduit. »
Image : Perspective(s) – Région Provence-Alpes-Côte d’Azur – Sources 3D MC