l’édifice parisien de l’architecture Art déco menacé de démolition dans le 16e
Depuis 2015, la synagogue Art déco de la rue Copernic est menacée de destruction par ses propres membres. Mise aux normes et manque de place ont poussé le conseil d’administration de l’ULIF (Union libérale israélite de France) à engager un projet de démolition de l’ancien lieu de culte au profit d’un nouveau centre culturel et cultuel imaginé par les architectes Valode et Pistre. Retour sur une polémique silencieuse.
En 2015, un premier projet de mise aux normes de la synagogue de la rue Copernic est évoqué par le conseil d’administration de l’ULIF, responsable du fonctionnement de l’édifice. En septembre 2016, l’opération a changé complètement : le conseil d’administration présente une maquette de façade extérieure, destinée à remplacer l’ancienne synagogue sur laquelle un nouveau centre culturel et cultuel sera construit.
Querelle de clochers
Cette décision donne naissance à l’Association de protection pour le patrimoine de Copernic (APPC), aujourd’hui, réunie autour d’Eva Hein-Kunze, secrétaire générale, pour empêcher sa destruction. « Cette synagogue, non protégée aujourd’hui, est un lieu mémoriel et artistique essentiel pour notre communauté et pour l’ensemble des citoyens. Il nous paraît impensable qu’elle disparaisse », précise-t-elle.
Deux prises de positions totalement opposées qui mènent à un véritable « dialogue de sourds » pour Bernard Daltroff, vice-président de l’ULIF et partisan de la démolition.
Un chef-d’œuvre Art déco
Conçue par l’architecte Marcel Lemarié, la synagogue de la rue Copernic est construite en 1924 dans le style Art déco qui se développe dans les années 1920 : l’art des Années folles, mêlant sobriété, géométrie et matériaux nouveaux comme le béton armé et le métal. La synagogue est contemporaine d’édifices aujourd’hui reconnus et protégés comme le cinéma Louxor ou le théâtre Folies Bergère. Dans le 16e arrondissement, plusieurs habitations à bon marché, les fameuses HBM, sont aussi construites selon ce style. La synagogue dispose d’une façade sur rue discrète, ne laissant pas présager de l’intérêt de ses dispositions intérieures.
Spécificités des principes constructifs et des décors
L’utilisation de la toiture-terrasse est une signature du vocabulaire moderniste, à laquelle l’architecte a ajouté un éclairage zénithal original. Une lanterne est posée sur ce toit plat : une virtuosité technique rendue possible par l’utilisation du béton armé. Cette disposition rappelle à la fois les paquebots transatlantiques et l’éclairage des temples antiques. Elle peut aussi être rapprochée d’une autre coupole réalisée sur un édifice cultuel de la même époque : l’église du Saint-Esprit, dans le 12e arrondissement, imaginée par l’architecte Paul Tournon qui, pour sa part, est inscrite à l’Inventaire supplémentaire des monuments historiques.
À l’intérieur, le vitrail réalisé par le peintre Pierre-Jules Tranchant confère une atmosphère lumineuse à la salle de culte. Les motifs inspirés de la Perse antique et des gloires chrétiennes baroques sont remarquables. Les inscriptions blanches calligraphiées et les bas-reliefs dorés sur les murs rappellent le temple égyptien, consacrant la vocation cultuelle de l’édifice.
Une valeur patrimoniale évidente…
Cette synagogue témoigne non seulement de l’histoire de l’architecture, mais aussi de celle des religions. C’est un édifice singulier, car il accueille la première synagogue libérale de France. Ce lieu de culte est également rescapé de deux attentats, en 1941 puis en 1980. Il s’agit aussi d’un lieu mémoriel essentiel, d’autant plus que la procédure judiciaire lancée après l’attentat de 1980 n’est pas terminée à ce jour…
… et pourtant contestée
Une visite d’évaluation patrimoniale par la Drac Île-de-France était prévue en octobre 2017, mais n’a pu aboutir à cause du blocage de la salle de culte par le conseil d’administration. Depuis, le projet architectural suit son cours, l’ULIF a obtenu l’accord de principe des ABF sur les dispositions en façade. De son côté, l’APPC déplore qu’aucune information concrète ne soit diffusée auprès de la communauté, dénonçant un verrouillage de la communication. Les membres de l’association, devenus persona non grata, éprouvent les plus vives difficultés à relayer leur action, tant auprès de la communauté que de la presse, des services municipaux et même des instances de l’État… Une chape de béton semble déjà tombée sur l’édifice.
Un projet à 22 millions
La démolition de la synagogue alarme l’association bien que, selon le conseil d’administration, certains éléments puissent être conservés : « Nous avons prévu de réinstaller la verrière, de récupérer les plaques commémoratives, de réutiliser certaines frises », explique Bernard Daltroff. Une intention certes louable, mais qui n’est pas garantie puisque ces éléments ne sont pas protégés.
La dimension patrimoniale s’efface, ici, devant les impératifs de développement cultuel et culturel. L’esprit du lieu peut-il perdurer dans ces conditions ?
Plus d’informations : sauvegardecopernic.org