Il est manifeste que, la pollution actuelle aidant, les eaux pluviales sont porteuses de salissures, de détériorations et de dégradations de nos architectures et détails ornementaux, et nous les supportons mal. Peut-être moins agressive en termes de composition chimique, l’eau de pluie au Moyen Âge était également source, pour les monuments, de désordres potentiels. Nous avons d’ailleurs évoqué dans un article précédant l’altération des portails occidentaux sous l’action conjuguée de l’eau et du vent.
Une source d’invention
Les constructeurs du Moyen Âge vont peu à peu transformer cette contrainte en source d’invention de dispositifs qui allient alors le décoratif et la technique. La Renaissance française perpétuera cet intérêt, mais en lui donnant d’autres formes et réponses. Après cela, jamais plus, dans l’histoire de l’architecture, les constructeurs concepteurs ne s’empareront de cette source d’inspiration, mais, au contraire, la subiront avec des solutions souvent parasites esthétiquement et dénuées de tout sens créatif. Nous n’aborderons pas ici les grands systèmes hydrauliques développés, par exemple, par la communauté cistercienne avec tant d’intelligence, à l’échelle des sites qu’ils aménagèrent. Nous nous limiterons aux cas constructifs que nos lecteurs pourront reconnaître sur des monuments familiers, de taille modeste ou monumentale.
L’époque médiévale
Évidemment, la gouttière métallique telle que nous la connaissons n’a pas existé avant la seconde partie du 19e siècle. Seul son nom révèle un lien avec les anciennes constructions puisque provenant de « mur gouttereau », à comprendre comme « mur de la goutte », illustrant en fait le lieu de chute des gouttes d’eau après leur descente sur le pan incliné de la couverture. La construction militaire et les ensembles fortifiés étaient habitués depuis l’Antiquité à collecter les eaux vers des citernes bien utiles en temps de siège ou de période sèche. Les constructions religieuses n’y prêtaient guère attention. Sur les ouvrages modestes, l’eau filait naturellement par gravité jusqu’aux abords du monument. Là, elle circulait jusqu’à pénétrer le terrain, ou pouvait être conduite par une rigole vers un point de collecte ou un terrain à alimenter. À partir du moment où l’on prenait garde de ne pas ramener les eaux au sol vers la construction, les dommages étaient faibles voire inexistants.
Problèmes de collecte d’eau
Avec non seulement l’agrandissement des monuments, mais aussi l’augmentation de la pente de toiture, le problème de la collecte de l’eau se posa. Celle tombant sur un grand comble ne devait ni altérer ni endommager par sa chute directe les toitures d’ouvrages secondaires (chapelles, bas-côtés) situées en contrebas. Et, c’est un fait, la nécessité toujours croissante de faire abondamment entrer la lumière naturelle dans les édifices entraîna la suppression des combles accolés et l’invention d’un autre schéma de récupération des eaux pluviales. Dès lors, il n’est en effet plus question de laisser libre un écoulement d’eau sur des parties encaissées et pouvant être mises en charge dès le premier orage, entraînant une inondation des espaces intérieurs. Dans ce cas, il fut développé un premier système de collecte des eaux dans un chéneau situé au niveau d’appui des toitures supérieures. Cette eau était alors évacuée par de simples gargouilles pour les petits monuments ou en profitant des arcs-boutants, structurels par essence, qui virent leur rampant creusé et devinrent de formidables aqueducs, desquels les eaux sortaient par des gargouilles prenant place sur les culées situées à l’extrémité basse du cheminement (cf. schéma ci-contre). Aujourd’hui encore, le regard de l’observateur attentif peut l’amener à mieux apprécier les états archéologiques anciens d’une structure : un monument doté d’arcs-boutants non creusés d’un aqueduc était, à coup sûr, affublé de combles de bas-côtés adossés au vaisseau principal. À l’inverse, ceux taillés avec rigole et comportant des gargouilles « exutoires » sont ceux qui nécessitaient des parties inférieures traitées avec des terrasses ou des couvertures en pavillon.
Et à la Renaissance ?
À l’inverse de ce qui est cru trop souvent, la Renaissance, notamment française, n’est pas une période de rejet de la précédente : on innove, on invente, et certains motifs sont délaissés au profit d’autres. On y procède à l’écartement systématique de l’eau loin des façades. Déjà mis au point avec les glacis des contreforts à l’époque médiévale, on développe les corniches avec glacis, on traite les pignons de manière saillante avec couronnement débordant à double pente, on intègre le dessin des larmiers en renouvelant certains profils médiévaux ou d’autres hérités de l’Antiquité. Les dispositifs pour écarter l’eau deviennent les arguments de l’apparition d’une modénature particulière : comprenant qu’un pan oblique d’une trentaine de centimètres protège environ trois mètres de mur à l’aplomb, on constate la généralisation des segmentations horizontales avec l’intervention de bandeaux saillants de profil biais et au porte-à-faux important. Les façades verticales voient alors se confronter un second rythme, opposé et horizontal. Cette opposition entre verticales et horizontales, quasiment inédite à l’époque médiévale, trouve son accomplissement dans les fenêtres à meneaux de pierre qui illustrent parfaitement cette nouvelle dualité.
Le présent et l’oubli
Si l’époque médiévale a judicieusement lié à la structure porteuse et contrebutante le cheminement des eaux vers le bas et a développé sur les consoles porteuses des chéneaux ou sur les gargouilles exutoires une sculpture raffinée et originale, l’époque de la Renaissance tirera des problèmes posés par l’eau une architecture nouvelle alliant, toujours dans la tradition du Moyen Âge, la forme et la fonction. L’époque classique amorcera cet oubli de l’eau comme moteur créatif, et cela perdure depuis. Même chez les plus talentueux architectes de notre temps, nous peinons à trouver l’expression d’une justification créatrice passant par l’eau, si ce n’est dans des allusions directes, caricaturales ou de fausses métaphores. C’est bien dommage. Gageons que les nouvelles générations sauront s’en emparer et trouver d’autres architectures raisonnées et originales.
Stéphane Berhault
Architecte du patrimoine