Avant même de penser restauration, une charpente de bâtiment historique ou patrimonial s’entretient et se consolide. L’objectif : prévenir des désordres qui, si l’on n’y prend pas garde, peuvent aller jusqu’à mettre en péril l’édifice. Il n’y a pas de fatalité, la prévention passe par une analyse détaillée et des remèdes adaptés.
Stéphane Miget
C’est une évidence qu’il est parfois utile de rappeler : tout bâtiment a besoin d’entretien, sachant que plus il sera ancien, plus le besoin s’en fera sentir. Élément structurel essentiel à la pérennité de l’ouvrage, la charpente, très exposée et très sollicitée, est particulièrement concernée. D’autant plus sur un bâtiment historique et/ou patrimonial. Un entretien régulier permettra de prolonger la vie de l’ouvrage et d’éviter des réparations plus lourdes, donc plus onéreuses. Ce qui ne veut pas dire qu’entretenir exclut systématiquement une intervention plus importante sur ladite charpente. On peut définir deux types d’approches : l’entretien correctif et planifié, à savoir, les travaux réguliers recommandés par un plan de conservation. Il s’agit, ici, de programmer – planning à l’appui – les travaux à réaliser de façon à prévenir les problèmes qui surviendront immanquablement au cours de la vie du bâtiment. Second cas de figure : l’entretien d’urgence à réaliser sans délais pour des raisons de sécurité, de protection et de risque de détérioration rapide – par exemple, la réparation du toit suite à une tempête ou à une rupture de pièce.
Premier principe à adopter : des inspections régulières qui faciliteront la détection rapide des dégradations éventuelles. La mise en place d’un calendrier peut s’avérer utile. Cette inspection portera sur tous les points susceptibles de dégrader à terme la charpente : humidité, pourrissement, présence d’insectes xylophages et/ou de mérules, état des assemblages, des planchers, des accès… Avant tout, il faut donc prévenir l’humidité et cela passe inévitablement par… le toit : « En premier lieu, explique Benoît Dulion, codirigeant Dulion Charpente et enseignant à l’École d’Avignon, il s’agit d’entretenir la couverture d’un bâtiment pour en préserver la charpente. » Julien Fournier, gérant du bureau d’études structure Hemery, précise, de son côté, que « l’humidité sur les éléments de charpente, notamment les porteurs, est souvent provoquée par des infiltrations en raison de problèmes de connexion entre toiture et parois ».
Ce qui signifie une vigilance et le traitement de certains points essentiels, comme le précise Benoît Dulion : « Élimination des végétaux et mousses qui ont pu s’y développer ; nettoyage et vérification de l’état des gouttières, noues, chéneaux et descentes d’eau pluviale ; contrôle de l’étanchéité au niveau des points singuliers, notamment les raccords au droit des lucarnes et des châssis de toit ou au niveau des solins de cheminée.» S’impose également l’examen de l’état des lattages qui, dégradés, peuvent entraîner un glissement des tuiles. Bien sûr, la toiture assurant le couvert, il est indispensable, avant même de penser à la charpente, de corriger l’ensemble des défauts d’étanchéité constatés. Attention, nous parlons d’entretien et de correction. Si l’état de la toiture est vraiment dégradé, il faudra envisager un remaniement beaucoup plus important.
Repérer insectes et larves xylophages
Les larves des insectes xylophages se nourrissent de la cellulose du bois qu’elles dévorent à l’avancement en creusant des galeries, certaines d’entre elles renforcent et tapissent la paroi par des sécrétions cimentières. En fonction des cas, elles sont plus ou moins faciles à repérer. Les larves du capricorne, du lyctus, du sirex géant et de la vrillette, vers blancs plus ou moins gros et mous, révèlent leur présence par l’apparition de trous à la surface du bois ou le rejet d’un peu de sciure. Il est possible de les repérer aussi au bruit en appliquant un stéthoscope sur les bois de charpente. Chacune de ces larves a ses préférences : le capricorne apprécie les résineux ; le lyctus, les feuillus ou les bois tropicaux ; la vrillette s’attaque à tous les types de bois.
Quant au termite, il agit partout, mais attaque d’abord les parties tendres du bois. Insecte le plus nuisible dans cette catégorie, il colonise progressivement le territoire français depuis l’Ouest et le Sud (le niveau de l’infestation étant mesuré par l’Observatoire national termite par l’institut technologique FCBA). Les pouvoirs publics ont adopté un dispositif législatif et réglementaire destiné à protéger les acquéreurs et les propriétaires d’immeubles. Difficile à repérer, le termite ne vit pas dans le bois lui-même, mais dans le sol, au sein d’une termitière organisée en communauté (comme la fourmilière). Sa présence est d’autant plus difficile à détecter qu’il ne perce que très peu de trous et n’évacue pas de sciure. Lorsque les premiers dommages apparaissent, l’invasion est déjà largement établie, et les dégâts sont importants.
Mérule et xylophages
Côté charpente, les fuites en toiture vont humidifier les bois, avec des conséquences variables selon la durée d’exposition : de la simple humidification ou d’un pourrissement à des cas de rupture de pannes gorgées d’eau… « L’idéal est de mener les investigations, de préférence, un jour de pluie, de façon à repérer plus facilement les infiltrations, et ce une fois par an », souligne Benoît Dulion. L’humidité, c’est aussi le risque de voir se développer la mérule (voir encadré) et autres champignons lignivores. En présence d’une humidité anormalement élevée, en milieu chaud et confiné, ces derniers ont pour particularité de dégrader les bois d’œuvre des bâtiments, affectant la qualité d’usage des édifices jusqu’à mettre en péril la solidité de la structure. Résoudre le problème d’humidité – travaux d’assainissement et assèchement – est un préalable incontournable avant le traitement curatif proprement dit qui sera mené par une société spécialisée (purge des bois dégradés et traitement à l’aide de produits fongicides).
Autres ennemis des charpentes : les insectes à larves xylophages (capricorne, petite vrillette – 3 à 5 mm – ou grosse vrillette – 5 à 7 mm –, hespérophane, lyctus…) et les termites, ces dernières pouvant engendrer des dégradations irréversibles. Là aussi, c’est par le diagnostic que les dégâts pourront être évalués afin de déterminer le type d’intervention possible : préventive (produits à appliquer, comme contre les champignons) et/ou curative.
Le traitement curatif s’avère plus délicat car il nécessite au préalable de débarrasser le bois des parties abîmées et de vérifier qu’il ne subsiste rien qui pourrait mettre en cause la solidité de tout ou partie de l’ouvrage. Un bûchage peut être nécessaire pour retrouver le bois sain. Bien nettoyé, il devient alors apte à recevoir un traitement par badigeonnage, pulvérisation ou injection lorsque les pièces de bois sont de forte section. Quel que soit le type de traitement, ces produits, agressifs pour la peau ou les voies respiratoires et inflammables, doivent être certifiés par l’institut technologique FCBA (Forêt Cellulose Bois-construction Ameublement).
Mérule, attention : danger
Surnommée la « lèpre des maisons » ou encore le « cancer de l’habitation », la mérule est un champignon. Son mycélium, composé d’un ensemble de filaments très fins de 10 microns de diamètre ou hyphes (aspect de toile d’araignée), attaque la masse du bois en suivant les cavités des cellules et en perforant leurs parois pour passer de l’une à l’autre. 80 % des attaques de mérules sont suivies par des attaques d’insectes. La mérule ne peut se développer plus de trois semaines dans une humidité inférieure à 22 %, mais elle reste en sommeil.
Mesures préventives :
- éviter tout contact entre le bois et le sol ;
- assurer une bonne aération ;
- éviter de recouvrir les parquets, surtout au-dessus des pièces où se produisent des dégagements abondants de vapeur d’eau (cuisine, salle de bains) ;
- éviter les planchers bois sur vide sanitaire.
Mesures curatives :
- procéder à un nettoyage, dépoussiérage et brûlage ;
- rechercher et supprimer la cause d’humidité : toitures, sanitaires, façades, etc. ;
- réaliser une ventilation efficace ;
- faire un traitement chimique curatif.
Renforcements et réparations
Le diagnostic portera également sur la charpente elle-même, conception d’origine et évolutions : «Ces dernières ne sont pas toujours heureuses. Parfois, les charpentes ont été sous-dimensionnées, ce qui peut occasionner des ruptures, soit au milieu, soit au droit de l’appui, notamment lorsqu’il y a ajout de poids avec un nouveau matériau de couverture. Avec l’humidité, c’est une des raisons principales de rupture», signale Julien Fournier.
De fait, les interventions peuvent alors être de plusieurs ordres : renforcements provisoires, consolidations ou réparations plus durables et restauration définitive. Dans le cadre de l’entretien de charpente, on s’intéresse davantage au renforcement : « La notion de renfort est la mise en œuvre d’éléments permettant la stabilité d’un ouvrage. Il ne s’agit pas de restauration. Un renfort est une solution temporaire avant restauration… mais devient très souvent définitif», remarque Benoît Dulion.
Lesdits renforts peuvent être en bois ou en métal : « Avec le bois, on obtient des renforts puissants et faciles à assembler. Le métal autorisera, à résistance égale, des renforts de plus petites sections. Avec lui, on peut aussi réaliser des tirants et des tendeurs », détaille Benoît Dulion. Autre méthode : la résine bien adaptée pour réaliser des renforts en sous-œuvre et éviter ainsi le remplacement de bois. Avantage : elle permet un renfort dans la section d’origine. En revanche, c’est une technologie coûteuse et sensible : « Difficilement réversible, d’une utilisation très délicate en extérieur pour les murs à pan de bois, elle implique une mise en œuvre très technique qui impose de purger profondément les bois. Elle verrouille les assemblages et bloque la souplesse de la structure», prévient Benoît Dulion.
Et puis, il y a aussi toutes les petites mesures qui facilitent le travail dans la charpente parfois difficilement accessible : «Par exemple, prévoir un chemin de service dans le comble avec un éclairage et des garde-corps. Et, bien sûr, garder ce lieu propre ! C’est essentiel», conclut Benoît Dulion.
DÉSAXEMENT DE CHARPENTE RÉVÉLÉ PAR SCANNER 3D
Contexte
À la demande de la Ville de Tours, la charpente du bâtiment du musée des Beaux-Arts a fait l’objet d’un diagnostic complet, réalisé par le bureau d’études structure Hemery. Celui-ci a procédé en plusieurs étapes : relevé in situ des charpentes, scanner laser 3D, relevé des pathologies, relevé des sections des éléments comportant des pathologies, reportage photographique. Ce qui a permis de réaliser une mise en forme sur fond de plan existant, avec lesdits relevés, et une mise en dessin des coupes de principes sur charpente. Ici, le scanner 3D s’est avéré essentiel pour réaliser une analyse des pathologies de la charpente, notamment pour l’aile dite du synode contre la cathédrale, partie la plus ancienne, datant du 12e siècle. Une charpente en trois pans dont une croupe, construite en deux zones selon deux typologies.
Analyse 3D et constat
L’analyse et l’exploitation, via un logiciel spécifique des nuages de points du scanner laser 3D, a mis en évidence un faux-aplomb très important sur l’ensemble de la charpente. Le déplacement, de l’ordre de 60 cm au plus fort, est très visible sur certaines fermes. D’après le rapport d’analyse, c’est la mise en place de renforts en bois massif résineux qui a engendré un désaxement dans la zone d’enrayure supérieure. Résultat : le faux-aplomb de la charpente en entraîne un autre, de l’ordre de 5 cm, sur le mur pignon en pierre maçonnée.
Ce qui a probablement provoqué les départs de fissurations au droit du point rigide d’enrayure basse. Le diagnostic a aussi révélé des pourrissements et sorties d’assemblage sur le lien de sous-faîtage en partie supérieure, le déboîtement d’un assemblage d’arbalétrier, l’endommagement d’un assemblage d’aisselier, la présence de flasque en bois massif résineux de renfort dans les zones d’assemblage de croupe.
Préconisation
Le bureau d’études, outre le retrait des bois massif résineux et le remplacement des assemblages, préconise une réflexion générale avec l’architecte sur le déplacement en tête de la charpente. L’objectif : trouver une solution technique adaptée au site et en cohérence avec l’ouvrage classé au titre des Monuments historiques. Elle devra permettre de stopper le phénomène de déversement de l’ensemble des fermes et de la poussée du pignon en pierre maçonnée du côté cathédrale.
« Le scanner laser 3D, avec la mesure en 3D des charpentes par un nuage de points, permet de numériser celles-ci et d’effectuer ensuite une analyse très fine. Il est, en effet, possible d’obtenir des relevés très précis, jusqu’à un point tous les trois millimètres. Une fois importé dans un logiciel dédié, ce relevé nous donne, dans un premier temps, la possibilité d’étudier la charpente, de relever les cassures ou d’observer les déplacements, comme pour le musée des Beaux-Arts de Tours. Ce travail d’analyse peut être poussé plus loin avec l’exécution d’une maquette 3D qui permet d’effectuer des projections pour voir quels types d’interventions réaliser. »
Julien Fournier, gérant du bureau d’études structure Hemery