Des chercheurs de l’Inrap, de l’université de Bournemouth, du CNRS et de l’Université de Bretagne Occidentale (UBO) viennent de mettre en évidence la plus ancienne carte en relief en Europe, datant de l’âge du Bronze ancien (2150-1600 avant notre ère). Cette recherche porte sur la dalle gravée de Saint-Bélec (Leuhan, Finistère).
La dalle de Saint-Bélec depuis sa découverte
Cassée, la dalle a été utilisée, en réemploi, dans le coffre du tumulus de Saint-Bélec 1 vers la fin de l’âge du Bronze ancien (c. 1900-1640 avant notre ère). La dalle en schiste formait alors une des parois d’un coffre funéraire. Sa face gravée était orientée vers l’intérieur de la tombe, mais ses extrémités étaient masquées. En août 1900, la dalle est déplacée jusqu’au château de Kernuz, maison et musée privé de Paul du Chatellier (Pont-L’Abbé, Finistère). Le musée des Antiquités nationales (MAN) de Saint-Germain-en-Laye acquiert en 1924 cette importante collection. La dalle de Saint-Bélec est entreposée jusque dans les années 1990 dans une niche des douves du château. Elle est finalement retrouvée dans une cave du château en 2014.
À partir de 2017, les chercheurs entreprennent une couverture photogrammétrique et des campagnes de relevés 3D haute résolution afin d’enregistrer la topographie de la surface de la dalle et pour analyser la morphologie, la technologie et la chronologie relative des gravures.
Un ensemble complexe de signes
La dalle de Saint-Bélec est en schiste de couleur gris-bleu d’origine locale et mesure 2,20 m de longueur, pour 1,53 m de largeur et 0,16 m d’épaisseur. Elle porte les trois éléments les plus probants d’une représentation cartographique préhistorique : une composition homogène avec des gravures identiques en technique et en style, une répétition des motifs et une relation spatiale entre ces motifs (réseau de lignes). Pour confirmer leur hypothèse, les chercheurs l’ont comparée à d’autres représentations similaires tirées de la Préhistoire européenne et de l’ethnographie (Touaregs, Papous, Aborigènes d’Australie…).
La dalle de Saint-Bélec peut-elle représenter son environnement entre montagnes Noires et vallée de l’Odet, collines de Coadri et massif de Landudal ?
Un examen de la surface gravée montre que la topographie de la dalle a été volontairement modifiée pour représenter la vallée de l’Odet, tandis que plusieurs lignes paraissent figurer le réseau hydrographique. Afin de tester la concordance entre les gravures et les éléments paysagers, plusieurs séries d’analyses statistiques de formes et de réseaux ont été réalisées. Sur la base de ces résultats très probants, un géoréférencement de la dalle a été effectué. Ce travail montre que le territoire représenté sur la dalle correspondrait à une zone d’environ 30 km de long et 21 km de large, orientée selon un axe ENE-OSO correspondant au cours de l’Odet. Le motif central, interprété comme symbole d’une enceinte permet d’émettre l’hypothèse qu’un territoire d’une communauté de l’âge du Bronze ait existé aux confins de trois sources (l’Odet, l’Isole et le Stêr Laër).
S’agissant probablement d’une carte mentale, certains éléments représentés peuvent être surdimensionnés, tandis que leurs positionnements ne sont pas nécessairement proportionnels à la distance qui les sépare les uns des autres. Enfin, la cartographie de ce territoire est à mettre en perspective avec le contexte socio-historique de la culture dite des « tumulus armoricains », qui témoigne d’une forte hiérarchisation sociale et d’un contrôle sans doute étroit de l’économie. Les fameuses tombes « princières » de cette période sont régulièrement distribuées dans l’espace, reliées entre elles par un réseau viaire et apparaissent comme les centres de territoires.
Contemporaine du fameux disque céleste de Nebra (Allemagne), la dalle de Saint- Bélec met en évidence le savoir cartographique des sociétés préhistoriques. Si la dalle de Saint-Bélec figure le territoire d’une entité politique fortement hiérarchisée et contrôlant étroitement un territoire au Bronze ancien, son bris pourrait avoir valeur de condamnation, de désacralisation. Un acte d’enfouissement, accompagné d’un geste iconoclaste, pourraient ainsi marquer la fin ou le rejet de ces élites qui auront exercé leur pouvoir sur la société durant plusieurs siècles au cours de l’âge du Bronze ancien.
Références de l’article
Nicolas C., Pailler Y., Stéphan P., Pierson J., Aubry L., Le Gall B., Lacombe V., Rolet J. (2021) – La carte et le territoire : la dalle gravée du Bronze ancien de Saint-Bélec (Leuhan, Finistère), Bulletin de la Société préhistorique française, 118, 1, p. 99-146.
Photo : Vue générale de la dalle de Saint-Bélec depuis le coin inférieur droit. © Denis Glicksman, Inrap