La réalité augmentée (RA) est un outil de développement stratégique qui permet de développer certaines initiatives culturelles et éducatives, et offre nombre d’opportunités commerciales. Le droit d’auteur génère toutefois des obstacles juridiques qui peuvent compromettre la viabilité des initiatives fondées sur la RA.
La RA consiste à superposer des éléments calculés par un système informatique à la réalité en temps réel. Cette technologie permet ainsi de voir, à l’aide d’un dispositif – tel qu’un smartphone – des images élaborées par un logiciel dans un contexte réel. Un exemple célèbre est le jeu des Pokemons, où les images en mouvement de ces personnages de fantaisie apparaissent aux joueurs munis d’un smartphone doué d’une application spécifique en des lieux spécifiques.
Elle s’applique à différents secteurs, dont le patrimoine culturel. La RA peut jouer un rôle dans l’éducation à l’histoire et à l’art d’une communauté. Ces éléments sont fondamentaux pour mieux développer une identité, aussi bien au niveau individuel que communautaire.
À travers la RA, il est possible de valoriser les sites où se trouvent des biens culturels, ainsi que les collections des musées ou des archives qui hébergent ces biens. Ainsi, une RA sur un ou plusieurs tableaux du Louvre pourrait valoriser non seulement le tableau, mais également la collection du musée.
À travers des reproductions et représentations d’objets culturels, un public large peut alors accéder non seulement aux objets qui composent actuellement le patrimoine culturel, mais aussi à des informations sur l’histoire de ce bien, les techniques qui ont permis de l’élaborer, ou le contexte historique de sa création.
L’expérience de visite devient ainsi plus exhaustive, interactive, enrichissante ; en un mot, plus attrayante. On peut émettre l’hypothèse que tout cela peut avoir des retombées positives sur le développement culturel, ainsi que de façon plus indirecte, sur d’autres éléments, tels que l’évolution du secteur touristique alentour, mais aussi un intérêt croissant des opérateurs du marché qui développent des solutions RA.
Les exemples de RA appliquée aux biens culturels se multiplient en France et ailleurs : citons le pont d’Avignon), l’Ara Pacis Augustae à Rome), des pièces du musée d’art Islamique à Berlin), les tableaux du musée Van Gogh à Amsterdam, ainsi que quelques tableaux de la Tate à Londres, ou de la Art Gallery of Ontario à Toronto ; ou encore les dinosaures exposés au musée de Trento.
À travers ces exemples, on note que les objets concernés par la RA sont plutôt anciens ; ou bien il s’agit d’objets qui présentent un intérêt scientifique, mais pas artistique. Cette précision factuelle permet de comprendre qu’il est plus simple de développer une application RA sur des objets anciens ou de caractère scientifique que sur des objets à caractère artistique et ce en raison de l’absence de droit d’auteur sur les premiers.
S’agissant des biens culturels à caractère artistique, ils incorporent une œuvre de l’esprit, c’est-à-dire la forme expressive d’une idée. C’est le cas pour la sculpture, la peinture, la littérature. Ce type d’œuvre peut faire l’objet d’un droit d’auteur. Ce droit couvre les œuvres originales, c’est-à-dire découlant de l’effort intellectuel d’une personne physique ; ainsi les œuvres générées par une machine, par un logiciel, ne pourraient pas être protégées.
La protection concerne les œuvres qui ne sont pas particulièrement anciennes. En France et en UE, ainsi qu’aux États-Unis, les œuvres originales sont protégeables jusqu’à soixante-dix ans après la mort de l’auteur ou du dernier auteur. Ainsi, un bien culturel artistique peut être protégé par le droit d’auteur si son créateur est décédé il y a moins de soixante-dix ans. C’est le cas, par exemple, des tableaux de Jackson Pollock. La protection offerte par le droit d’auteur permet de jouir d’un droit exclusif sur les œuvres de l’esprit, ce qui confère une position sur le marché plutôt forte à son titulaire. En effet, en principe la présence du droit exclusif empêche d’exploiter une œuvre en l’absence du consentement de son titulaire.
La protection des bases de données
D’autre part, les collections des instituts du patrimoine culturel, c’est-à-dire les musées, bibliothèques, archives et instituts de dépôt légal pour le matériel audiovisuel ou radiophonique peuvent être qualifiés en tant que bases de données, c’est-à-dire comme recueils de données, informations, contenus et autres matériels, organisés de façon méthodologique et systématique et au sein desquels on peut accéder aux éléments individuellement.
À certaines conditions, les bases de données dans l’UE peuvent jouir d’une protection qui limite l’extraction et l’exploitation des données les composant : il s’agit du droit sui generis sur les bases de données, une forme de protection juridique supplémentaire par rapport à celle offerte – éventuellement – par le droit d’auteur. En sa présence, il sera nécessaire d’obtenir l’autorisation du titulaire du droit avant de pouvoir copier et coller des éléments de la base de données dans un autre contexte. Cette forme de protection sur les bases de données peut venir se rajouter à celle couvrant les éléments qu’une telle base de données contient. Ainsi, une collection d’archives est une base de données et les documents contenus dans la collection peuvent être des œuvres de l’esprit protégées par le droit d’auteur.
À titre d’exemple, la collection du musée George Pompidou peut être qualifiée en tant que base de données et elle est protégeable par le droit d’auteur de façon globale, ainsi que par le droit sui generis sur les bases de données, tout comme les œuvres de Pollock qui y sont contenues et exposées sont protégées par le droit d’auteur. Comment faire si on veut développer une application RA autour des œuvres de Pollock, Koons et d’autres auteurs contemporains ou de l’histoire récente exposés au centre Pompidou ? Il faut alors obtenir l’autorisation d’exploitation des droits d’auteur et sui generis auprès des titulaires, tout en étant attentif au respect de la paternité et de l’intégrité des œuvres exploitées, si l’autorisation est donnée.
Globalement, le droit d’auteur peut faire obstacle à des exploitations telles que les reproductions et représentations nécessaires à des applications en RA. En effet, il s’agit d’un droit exclusif, et donc en l’absence d’autorisation l’œuvre ne peut pas être exploitée. Le consentement doit être fourni par le titulaire des droits patrimoniaux, c’est-à-dire des droits qui peuvent faire l’objet d’un contrat et qui couvrent les activités de reproduction et de représentation. Or, en raison des règles d’attribution de ces droits, il n’est pas toujours facile d’identifier qui détient les prérogatives et peut donc contrôler toute reproduction ou représentation. De plus, le créateur de l’œuvre – qui parfois ne détient plus les droits patrimoniaux en raison de la possibilité de les céder pour les monétiser – a toujours le droit d’être reconnu comme « père » de l’œuvre, ainsi que le droit au respect de la forme et de l’esprit de l’œuvre : c’est ce qu’on appelle les droits moraux, qui ne peuvent pas être cédés par contrat et qui durent au-delà des soixante-dix ans après la mort de l’auteur. De même, le droit sur les bases de données étant exclusif et se cumulant à la protection sur les éléments individuels composant la base de données peut vraisemblablement constituer une limite au développement de telles initiatives. Comment procéder alors ?
Exceptions au droit d’auteur
Les réponses sur la viabilité d’application RA peuvent être cherchées dans certaines exceptions au droit d’auteur, c’est-à-dire dans les règles qui permettent une exploitation des œuvres de l’esprit – ainsi que des bases de données – protégées même en l’absence d’une autorisation. On songe notamment à l’exception de citation, mais également à l’exception pédagogique, ainsi qu’à celles moins mentionnées par la presse et les œuvres de divulgation, telles que les exceptions sur les œuvres orphelines, et, plus récemment, sur les œuvres hors commerce, ou sur le data mining. Les exceptions sont expressément listées par le code de propriété intellectuelle français – à l’art. 122-5 notamment – et par les textes nationaux homologues au sein de l’UE. Une lecture creusée de ces dispositions révélant que seules certaines activités de reproduction et représentation pourraient être justifiées en l’absence du consentement du titulaire des droits, cette solution ne saurait être que partielle.
D’autres solutions semblent par ailleurs pouvoir découler des normes exogènes aux droits de propriété littéraires et artistiques. On songe notamment aux règles sur la réutilisation des données publiques, qui peuvent s’appliquer également aux informations gérées par les instituts du patrimoine culturel et par les administrations et établissements publics voués à la gestion du patrimoine culturel. Mais là encore, il ne s’agit que de solutions partielles, puisque les conditions pour que ces normes interviennent ne sont pas toujours remplies.
Il est possible que la pratique bien intégrée par le système français des accords collectifs entre les instituts du patrimoine culturel, les administrations gérant les biens culturels et les sociétés de gestion collectives (telle que l’ADAGP par exemple) fournisse, à terme, une solution plus exhaustive et vienne soutenir le développement de la RA.
Cristiana Sappa, Professeur associé en droit des affaires, IÉSEG School of Management
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
Photo : A la Conciergerie, la réalité augmentée permet de découvrir les lieux sous un autre oeil.
La Conciergerie, Paris